Interview – Analyse économique de l’industrie automobile en Allemagne

05.11.2025

Interview de Frédéric Berner, Directeur-Général de CCI France Allemagne, pour le magazine Le Figaro qui consacre un dossier spécial à l’industrie automobile allemande qui traverse une période de mutation profonde.

1) Comment décririez-vous la situation actuelle de l’industrie automobile allemande ?

L’industrie automobile allemande traverse une période de mutation profonde, plus que de crise. Après des décennies de leadership mondial, elle doit composer avec une conjoncture difficile : demande en recul, coûts énergétiques élevés et concurrence chinoise accrue. Mais il ne faut pas s’y tromper : l’Allemagne reste une grande nation automobile, avec un tissu industriel, technologique et de recherche unique en Europe. En 2024, l’Allemagne reste le 5ème pays producteur de véhicules particuliers (5,1% de la production mondiale) derrière la Chine (34,1%), les USA (12,7%), le Japon (8,9%) et l’Inde (6,3%). Les marques allemandes représentent quant à elles 11,9% des véhicules assemblés dans le monde. La force de rebond de l’industrie automobile allemande réside dans sa capacité d’innovation et sa base industrielle solide, sur le sol allemand, comme ailleurs.

2) Le terme « catastrophe » est-il approprié ?

Non. Le mot est excessif. Les restructurations actuelles — chez Bosch, ZF ou VW — traduisent une adaptation douloureuse, mais nécessaire et consciente à un modèle industriel en pleine transformation. La transition vers l’électrique, la digitalisation et l’automatisation exigent de nouvelles compétences et une réorganisation des chaînes de valeur. L’emploi industriel recule, mais les métiers de l’électronique, du logiciel et de la mobilité intelligente progressent rapidement.

L’industrie auto compte pour 11% des emplois industriels directs en Allemagne. Si l’on ajoute la sous-traitance en amont et la fabrication de pièces de rechange ou l’entretien des véhicules, on totalise plus de 2 millions de salariés directes et indirects en Allemagne dans la filière automobile.

L’atteinte des objectifs de neutralité carbone en 2050 se fera essentiellement par le passage aux véhicules à batterie électrique. De fait, depuis le début de l’année 2025, déjà 39,5% de la production automobile faite sur le sol allemand était en véhicules électriques. Cette évolution a déjà eu et va avoir davantage encore des conséquences lourdes sur l’emploi de toute la filière : équipements, assemblage et aftermarket. Depuis 2019 : la branche a perdu 75.000 salariés et créé 29.000 postes. Le solde est donc déjà négatif. Les raisons : beaucoup moins de composants à assembler dans une propulsion électrique par rapport aux moteurs thermiques, beaucoup moins d’entretien et une part encore très importante de la valeur ajoutée, à savoir les cellules, restera importée.

Les estimations du VDA disent qu’avec une part de l’électrique à 50% en 2030 cela va entrainer une perte de 110.000 emplois dans la production auto et chez les équipementiers et de 60.000 emplois supplémentaires d’ici à 2040 où 80% de la production sera électrique. A cela s’ajoutent 170.000 emplois perdus en amont et aval d’ici 2030 et 130.000 de plus d’ici 2040. En tout ce sont entre 215.000 et 280.000 emplois (13%) sur les 2,22 millions de 2017 qui auront disparus en Allemagne d’ici 2030 et 470.000 emplois (21%) d’ici 2040.

Plus de 700 métiers ont été passés au crible. Les métiers les plus impactés sont ceux qui ont les plus gros contingents : le travail des métaux, la construction et le génie industriel.

Les métiers avec les plus importantes croissances sont ceux des technologies embarquées, de la R&D, de l’informatique et de l’électronique. Les effectifs dans les technologies de l’information ont ainsi cru de 85% depuis 2013, de 25% depuis 2019.

C’est une reconfiguration, impressionnante mais nécessaire, pas un effondrement.

3) Quels facteurs expliquent cette crise ?

Plusieurs facteurs se combinent :

  • Transformation technologique : le passage à l’électromobilité bouleverse la chaîne de valeur. Un véhicule électrique requiert jusqu’à trois fois moins d’heures de travail qu’un moteur thermique, entraînant une baisse structurelle des emplois dans la production.
  • Compétition internationale : les marques allemandes ont sous-estimé la rapidité de montée en gamme des constructeurs chinois (BYD, Xiaomi). En Chine, leur part de marché a chuté de 22,6 % à 16,7 % en deux ans. Les constructeurs allemands ont trop cherché à élargir leurs gammes et à se positionner, s’éparpiller sur tous les segments. Les temps de développement et d’industrialisation, mais aussi la superstructuration de l’industrie qui avait pendant longtemps fait la réputation et la solidité de cette industrie s’avèrent être des freins considérables face à l’agilité de constructeurs asiatiques ou originaire de la Silicon Valley.
  • Conjoncture et régulation : la fin des primes à l’achat, la hausse du prix de l’énergie et une réglementation européenne très stricte sur le CO₂ pèsent sur la demande et la rentabilité.
  • Retard sur les batteries et les logiciels : la dépendance à l’Asie pour les cellules de batterie et la difficulté à développer des écosystèmes numériques compétitifs ont fragilisé la position technologique des constructeurs allemands.
  • Facteurs macroéconomiques : coûts salariaux élevés, incertitudes géopolitiques et ralentissement des marchés d’exportation (Chine, États-Unis) pèsent sur la performance.

Malgré tout, la base industrielle allemande demeure exceptionnelle : 25 % des sites de production automobile européens et 31 % des sites de batteries sont situés en Allemagne.

4) Quels sont les moyens de sortir de cette crise ?

L’industrie doit conjuguer réalisme et innovation : rationaliser ses gammes, se concentrer sur ses points forts – qualité, ingénierie, premium – tout en accélérant la digitalisation et les alliances technologiques. La formation continue, l’attractivité des métiers et la coopération science-industrie sont essentielles. La politique industrielle allemande doit aussi offrir un cadre compétitif : énergie abordable, fiscalité incitative et allégement administratif. La réduction des effectifs salariés dans la filière automobile, dit également être accompagnée par l’Etat, notamment à travers des solutions de reconversion par exemple de l’industrie automobile vers celle de la défense.

5) Comment protéger « l’Allemagne en tant que site économique » ?

En renforçant sa compétitivité structurelle. Cela passe par un coût de l’énergie soutenable, une réduction de la bureaucratie, un investissement massif dans la recherche et les infrastructures, et une politique européenne ouverte technologiquement (électrique, hydrogène, e-fuels). L’Allemagne doit redevenir un lieu où il fait bon produire et innover. C’est le message porté par le VDA : liberté d’innover, soutien ciblé aux technologies clés et environnement propice à l’investissement.

6) Que pensez-vous des mesures politiques actuelles ?

Le gouvernement Merz a pris la pleine mesure de la situation et des enjeux. Le cap général est bon : la décarbonation et l’électrification sont incontournables, mais il faut plus de pragmatisme. L’objectif n’est pas d’opposer électrique et thermique, mais d’avancer plus progressivement vers la neutralité carbone avec toutes les options technologiques disponibles. Les États fédéraux, comme la Bavière et la Basse-Saxe, appellent justement à plus de flexibilité sur le calendrier 2035 et à un « prix de l’électricité industriel » compétitif. C’est une vision lucide : planification, pas idéologie.

7) Y a-t-il des raisons d’espérer ?

Oui, clairement. L’Allemagne dispose d’atouts considérables : des marques mondialement respectées, un Mittelstand innovant, une culture industrielle et de formation d’excellence. Près de 40 % de la production automobile allemande est déjà électrique, preuve de sa capacité d’adaptation. La transformation est douloureuse, mais elle ouvre une nouvelle ère : celle d’une mobilité intelligente, durable et connectée, où l’Allemagne peut redevenir un modèle mondial à condition d’agir vite et collectivement.

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